La fille Angot est de retour

L’Opéra Comique ou salle Favart est tout à fait dans son rôle en inaugurant sa saison avec «La fille de Madame Angot», le plus célèbre opéra-comique de l’ère «post Offenbach», signé de Charles Lecocq. Voilà donc la fille Angot de retour chez elle après 54 ans d’absence ! Créée à Bruxelles le 4 décembre 1872 puis donnée à Londres, l’œuvre fait ses débuts parisiens en mars 1873 aux Folies-Dramatiques pour 411 représentations, puis dans 103 villes provinciales, puis file ensuite à New York et toute l’Europe. Elle entrera au répertoire de l’Opéra Comique en décembre lors de la saison 1918-1919, et y restera jusqu’après la seconde guerre mondiale. Un bref retour au Théâtre musical de Paris, l’ancien Châtelet, sous la houlette de Jean-Claude Brialy, date de 1984.

Nous n’imaginons pas aujourd’hui la popularité des aventures musicales de cette «poissarde parvenue» et de sa fille, dont les airs étaient dans toutes les têtes des mélomanes jusque dans les années 1970 grâce aux 33 tours Pathé EMI. Longtemps d’ailleurs, contrairement à des temps récents légèrement méprisants, ces mélomanes n’ont pas fait vraiment de différence entre le grand répertoire et ce qu’on appelait alors «les opérettes» («Ciboulette» de Reynaldo Hahn, «Mam’zelle Nitouche» de Hervé, «Véronique» de Messager, etc.). Mais dans le cas du génial Offenbach, égal des plus grands, il ne s’agit pas d’opérette mais bien d’opéra comique, comme pour les Angot mère et fille. Ce qui change tout.

C’est bien ce que souligne le maestro Hervé Niquet qui tient la baguette à l’Opéra Comique. L’illustre baroqueux français fondateur du Concert Spirituel en 1987, dont l’air austère cache un sens de l’humour très présent à la scène («le cabaret m’a tout appris» dit-il), déborde d’enthousiasme : «Comme dans une recette où l’on doit doser finement le moindre ingrédient, c’est de la meilleure pâtisserie française, dont la partition est très très difficile. L’orchestration est d’une grande difficulté, car la couleur est indissociable de la situation.»

Sa direction est un vrai bonheur, puisqu’il n’hésite pas à parler de «comédie musicale à l’américaine», affirmant que «Broadway, c’est nous depuis Louis XIV». Pour lui, la musique française est un flot continu, sous toutes ses formes, et on comprend mieux pourquoi un baroqueux comme lui est tombé amoureux de ce répertoire. Son chœur du Concert Spirituel a participé à l’enregistrement de l’œuvre en 2021 avec l’Orchestre de Chambre de Paris, dans la collection opéra français de la fondation Palazzetto Bru Zane.
Le maestro a bien raison de s’écrier que «c’est une musique à tubes», car on peut parier que tout amateur écoutant le CD ou tout spectateur à l’oreille fine fredonneront après la représentation «De la mère Angot, je suis la fille, je suis la fille, Et la fille Angot tient de famille, tient de famille !». Ou encore l’entraînant «Barras est roi, Lange est sa reine, C’était pas la peine, c’était pas la peine, Non pas la peine assurément De changer de gouvernement». Ça peut même aller jusqu’à l’obsession, comme l’assure le maestro !

Les premiers rôles masculins s’en tirent mieux que les femmes dans cet art offenbachien redoutable, exigeant de savoir faire l’acteur comique autant que le chanteur. En particulier les ténors Julien Behr en Ange Pitou et Pierre Dehret en Pomponnet, et le baryton Matthieu Lécroart en Larivaudière, qui incarnent vraiment leurs personnages passablement loufoques.

Le metteur en scène de théâtre Richard Brunel s’en tire moins bien, encombrant la scène de portiques et s’efforçant de tirer l’œuvre vers Mai 68 et le féminisme à coups de panneaux proclamant «Sous les pavés la plage» ou «Personne ne pourrait croire que nous faisons des hommes tout ce que nous voulons». Toujours cette obsession, chez les metteurs en scène du moment, de vouloir actualiser l’opéra, alors qu’en venant voir «La fille de Madame Angot», outre la qualité musicale et «les tubes», nous voulons nous plonger dans ce qui faisait les délices de nos parents ou grands-parents.

Lise Bloch-Morhange

Opera Comique, «La fille de madame Angot», Charles Lecocq, 5 représentations du 27 septembre au 5 octobre
La production sera reprise plus tard à Lyon, Nice et Avignon.

Photos: Jean-Louis Fernandez
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2 réponses à La fille Angot est de retour

  1. Philippe PERSON dit :

    Ouf ! Chère Lise,
    j’ai cru que vous alliez parler d’une autre fille Angot… Christine…
    Une fois de plus, vous avez rempli votre contrat : « Donner envie »

  2. catherine chini germain dit :

    Chère Lise,
    Comme toi, mon père me racontait avec délice en la chantonnant, pas très bien, ce que j’ai toujours cru être une Opérette..
    tu l’as réhabilité avec talent à mes yeux .
    Merci
    catherine

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